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    Trop de grèves grève-t-il le droit de grève ?

     

       J’ai souvent entendu dire dans mon environnement social et professionnel qu’une petite grève isolée d’une journée, sans ambition, ne mène à rien. J’ai aussi entendu des témoignages de gens désespérés, d’ailleurs très bien relayés par les différents médias, pour qui les grèves (surtout dans les transports publics) sont une prise en otage des travailleurs (et des autres, non ?) !

    Entre nous, si le premier (ou la première) à avoir eu le « génie » d’utiliser le terme « prise en otage » à propos d’une grève avait déposé ses droits d’auteurs, cette personne serait riche grâce à la propriété intellectuelle de cette expression tellement on nous bassine les oreilles avec à chaque mouvement social !

    Légitimement, je me pose la question, comme bien d’autres sans doute, de savoir quel impact peut avoir, de nos jours, une grève corporatiste de quelques jours. Surtout après avoir entendu le président d’une république dire tout l’impact que cela pouvait avoir sur sa politique !

    La grève serait donc un moyen has been de revendiquer plus de justice, plus de droits, plus de liberté ?

    Quelques exemples ressurgissent à ma mémoire défaillante (liste loin d’être exhaustive).

     

    -Les grèves et manifestations de février 1848 entraînèrent la démission de Guizot. Quelques jours plus tard, les violents combats entre les manifestants et l’armée entraînent la démission de Louis-Philippe et l’instauration de la II° République. 

     

    -Les grèves de 1936 ont permis d’obtenir les « accords de Matignon ». Soit une augmentation des salaires, la mise en place de conventions collectives, l’élection de délégués du personnel… (La semaine des 40 heures et les 15 jours de congés payés étant promis par le programme du Front Populaire, je ne les compte pas parmi les victoires obtenues par ces mobilisations)

     

    -Mai 1968 : le gouvernement français tente de calmer le mouvement par la mise en place des accords de Grenelle (discutés mais jamais signés).

     

    L’arrêt volontaire de l’activité professionnelle n’est pas la seule façon de faire grève. J’en veux pour preuve la grève du sexe : dans Lysistrata la célèbre pièce d’Aristophane, les femmes d’Athènes entreprennent une « grève du sexe » dans l’espoir de ramener leurs époux (ou amants) au foyer et qu’ils cessent de guerroyer (et mourir aux combats). Est-ce Lysistrata qui inspira de jeunes colombiennes, qui, en septembre 2006, ont décidé d’entamer une grève du sexe de 10 jours ?
    Le but de ces épouses et amies de gangsters colombiens était de diminuer la violence et les meurtres dans la région de Pereira, où le taux de meurtre est l’un des plus élevé au monde. En effet, des études montrent que les gangsters colombiens entrent dans les gangs pour des raisons de statut, de pouvoir et de sex appeal. Les résultats ont-ils été probants ? Ou se sont-ils soldés par plus de violences conjugales ? …

    D’autres formes de grèves me viennent à l’esprit : pour avoir refusé de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique (pour annexer le Texas), Henry-David Thoreau est condamné à 1 nuit de prison. L’ouvrage qu’il rédige ensuite (en 1849) donne son nom, « la désobéissance civile », à cette forme de mouvement contestataire. Cette grève de l’impôt pourrait-elle se décliner de nos jours malgré l’informatisation des services du Trésor Public ? …

     

    L’antimilitariste Louis Lecoin obtient le statut d’objecteur de conscience après plusieurs grèves de la faim. Le statut est accordé par un militaire : le général De Gaulle, alors président de la République française.

     

    Le 28 décembre 1977, quatre femmes de mineurs boliviens emprisonnés commencent une grève de la faim illimitée pour obtenir du gouvernement militaire une mesure d'amnistie générale et la restauration des libertés syndicales. Moins d'un mois plus tard (non sans avoir cherché à les faire céder), la dictature du général Hugo Bánzer finit par accepter leurs revendications.

     

    Patricia Troncoso-Roblès est une militante mapuche chilienne qui lutte pour l’égalité des droits et le respect des communautés Mapuche. Notamment dans le domaine des territoires spoliés par l’Etat chilien, les latifundistes (grands propriétaires fonciers) et les compagnies forestières. Entre octobre 2007 et le 29 janvier 2008 elle a effectué 112 jours de grève de la faim. Elle a enfin obtenu un document signé qui comporte quelques-unes des conditions qu’elle exigeait sur l’amélioration des conditions de détention des militants mapuches condamnés.

     

    Une dizaine de militant-es opposé-es aux cultures de plantes génétiquement modifiées (dont José Bové, Catherine Courson) après 9 jours de grèves de la faim en janvier 2008 parviennent à obtenir du gouvernement sarkozyste le respect d’un accord du Grenelle de l’Environnement et l’activation de la clause de sauvegarde qui permet à la France d’engager un moratoire sur le maïs génétiquement modifié bt Mon 810.

     

    Marina Petrella, ancienne membre des Brigades Rouges italiennes a été condamnée à la prison à perpétuité en Italie. Réfugiée en France, elle pensait certainement bénéficier de la promesse faite par François Mitterrand aux anciens activistes de ne pas les extrader. Mais le gouvernement Fillon-Sarközy décide de la remettre à la justice italienne en juin 2008. Elle entame une grève de la faim, de la soif ; son état de santé se détériore rapidement (dépression). Est-ce les mouvements de solidarité avec Marina, l’influence des sœurs Bruni ou un soupçon d’humanité qui font que le 12 octobre 2008 Nicolas Sarközy annonce l’abandon de la procédure d’extradition ?  

     

    Pour continuer ma liste, je pourrai aussi parler des grèves étudiantes. Comme celles qui ont fait reculer le gouvernement sur le CPE.

     

    Une question : est-ce que les grèves ont pu, dans l’histoire, apporter des changements positifs à la société ? J’ai l’impression que l’on peut dire que dans les cas que j’ai cités (et dans bien d’autres que j’ai volontairement omis) la grève, dans sa forme choisie, a permis des avancées. Peut-être les contextes (historiques, sociaux, économiques, psychologiques…) le permettaient-ils à ce moment-là. 

    Que la grève soit considérée comme dépassée me parait une conclusion volontairement hâtive.

    M’inscrivant dans ce processus, je suis partisan de cette forme de revendication. Mais dans certains cas, il me semble qu’on pourrait s’en passer. Par exemple faire une grève pour obtenir le droit de boire son café sur son lieu de travail me parait un peu exagéré et surtout contreproductif lorsqu’on connaît les conditions de travail de millions d’entre nous pour qui nous ne nous mobilisons pas (ou trop peu).

    Et pour finir, si les grèves dans les transports sont une « prise en otage » des usagers, je propose aux grévistes une nouvelle forme d’actions : la gratuité forcée ! C'est-à-dire de ne pas arrêter le travail mais d’offrir leurs services de façon non payante aux usagers. La direction ne pourra pas licencier tous les grévistes pour fautes professionnelles, non ? Le public serait peut-être plus sensibles aux revendications des salarié-es, et la direction pliera certainement devant le manque à gagner de ces journées de gratuité. 

     

    Donc, je suis POUR la GRÈVE lorsqu’on a des revendications et qu’on considère que c’est la dernière solution mais je suis opposé à une grève d’un jour pour faire plaisir aux syndicats institutionnalisés pour qui ces journées sont de simples démonstrations de leur pouvoir de mobilisation.

     

    Mato Witko.

     


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